17/08/2009
Martine Aubry appelle à "inventer le postmatérialisme". Pas mal. Mais que veut-elle dire ?
Le débat commence à gauche – au moment où l'UMP supprime la trêve dominicale :
Quand il est dans l'opposition, un politicien peut aborder certains problèmes de fond. (Il cesse de le faire dès qu'il revient au pouvoir : c'est alors la langue de bois).
Un débat commence ces jours-ci autour d'une phrase échappée à Martine Aubry, le 4 juillet, dans un entretien au Monde : « Nous devons inventer le postmatérialisme », avait-elle dit.
Le sénateur et ex-ministre socialiste Jean-Pierre Sueur lance la discussion (Libération, 17 août).
D'abord qu'appelle-t-on « matérialisme » ? Selon Sueur il en existe deux : le bon et le mauvais. Le bon matérialisme est celui qui a « exposé que la vie des hommes et des femmes, mais aussi leur idéologie, leurs représentations, leur rapport au pouvoir, étaient, pour une part non négligeable, déterminés par les conditions concrètes de leur existence matérielle ». Le mauvais matérialisme (coupable de « désastres théoriques et pratiques ») est celui qui croit en un « déterminisme absolu entre les conditions matérielles de l'existence et les choix individuels et collectifs des hommes et des femmes ».
Ici le sénateur se trompe :
- Son « bon matérialisme » n'est pas un matérialisme ; c'est simplement du réalisme, partagé par les chrétiens sociaux quand ils prennent au sérieux la DSE [1]. L'influence de « l'existence matérielle » sur l'idéologie courante n'a d'ailleurs jamais été aussi prégnante que depuis la fin du XXe siècle, avec l'empire absolu du financier et du commercial sur la conception de la vie.
- Son « mauvais matérialisme » (« déterminisme absolu ») est le matérialisme tout court. Réalisé dans les totalitarismes du siècle dernier, il est réalisé à nouveau par l'empire du business aujourd'hui.
Ensuite, quel « postmatérialisme » propose Sueur (pour tenter de concrétiser la phrase d'Aubry) ? « Un modèle social qui dépassera l'actuelle société de consommation. Martine Aubry s'y réfère explicitement dans son interview lorsqu'elle propose ''une société qui s'intéresse au bien-être et au bien vivre-ensemble, et pas seulement au bien avoir'' ».
Sueur voit dans cette phrase un accent « personnaliste », autrement dit chrétien.
À ceci près qu'Aubry n'a pas dit « être », mais « bien-être », ce qui n'est pas la même chose... On peut justifier au nom du « bien-être » des choses qui ne seraient pas envisageables au nom de « l'être ». Le mot de passe de la société de consommation est, d'ailleurs, « bien-être » ! On voit ici le mal qu'aura le PS à se sortir de l'ornière où il s'est enlisé depuis longtemps, et dont l'un des emblèmes est DSK – qui passe pour l'espoir suprême du parti en 2012.
Mais Sueur a raison quand il décrit la société actuelle (dont l'UMP est l'actuel facilitateur) : « Comment ne pas voir les ravages que produit la marchandisation croissante de notre temps et notre espace. Le temps : avec la loi étendant l'obligation de travailler le dimanche, c'est la société du caddy qui triomphe. L'espace : il suffit pour en être convaincu de constater l'un des principaux sinistres urbanistiques des cinq dernières décennies, à savoir la réalité de nos entrées de ville qui sont devenues partout une accumulation d'objets, toujours les mêmes, juxtaposés dans l'espace. Ici, l'architecture est devenue l'enseigne. La loi de la marque s'impose. Et lorsqu'on parcourt ces kilomètres de zones commerciales qui mènent à nos villes, on assiste à l'exacte réalisation de la prédiction de Karl Marx – un auteur un peu délaissé – pour qui le temps viendrait où le règne et la loi de la marchandise façonneraient et structureraient l'espace physique réel. Nous y sommes. »
Sueur n'a pas tort non plus quand il dit : « Alors oui au postmatérialisme dès qu'il s'agit de combattre l'injustice et, du même mouvement, repenser l'usage social et sociétal du temps et de l'espace ». Appel que l'on trouve, en d'autres termes, dans l'encyclique Caritas in Veritate.
Ne disons pas : « Oui, mais la gauche, etc ». Cette objection de droite n'aurait pas de sens : la droite et la gauche font la même politique quand elles sont aux manettes. Une politique qui n'en est pas une, puisqu'il s'agit de faciliter la marchandisation de tout : ce qui est le contraire radical du politique ! Tel dit des choses sensées dans l'opposition, qui parlera le commercialement-correct quand il sera redevenu ministre... Cela étant bien clair, rien n'empêche de prendre son bien où on le trouve et de discuter avec ceux qui posent de bonnes questions. Un chrétien social (mais quel chrétien pourrait ne pas être social ?) trouvera plus de points d'accord avec Jean-Pierre Sueur qu'avec les commerciaux UMP. Accords limités ? Peut-être, oui, sans doute. Et alors ? On ne voit pas pourquoi il faudrait considérer comme infréquentables des gens à qui il arrive aujourd'hui de recouper des idées sociales chrétiennes ; et comme « amis par définition » des gens à qui cela n'arrive jamais. [2]
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[1] C'est le point crucial. Tant que des chrétiens ne voudront pas admettre que la société du tout-business est une structure de péché, ils ne prendront pas la DSE (doctrine sociale de l'Eglise) au sérieux !
[2] Ils préfèrent nous parler du passé avec des trémolos. Nécrophiles...
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12:22 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : politique
Commentaires
CA SUFFIT
> Je partage votre point de vue. Ca suffit, avec la vieille chanson de la droite soi-disant plus proche du catholicisme. C'est devenu complètement faux. Et pourtant les catholiques français continuent à voter à droite par réflexe, dans le passéisme complet.
Écrit par : Ergo | 17/08/2009
POLITIQUE ? DEMOCRATIE ?
> Je partage également toutes vos analyses.
Mais j'en arrive au point extrême : si la "politique politicienne" qui prévaut aujourd'hui n'est pas la politique, qu'est-ce que la "vraie" politique ?
Si l'on doit aujourd'hui stigmatiser un déficit de démocratie, qu'est-ce que la "vraie" démocratie ?
J'entends bien qu'il soit préférable de considérer, à l'instar de l'Eglise, qu'elle est un mode de gouvernement acceptable entre autres et non une idéologie (= démocratisme) mais, pirouettes lexicales mises à part, il n'empêche qu'elle tire toujours sa légitimité de la majorité, majorité qui, bien entendu, n'est pas Vérité...
Du coup, même avec de "vrais" politiques ( = non assujettis à la sphère financière = porteurs d'une vraie "vision"), même dans le cadre d'une "vraie" démocratie (= débat intellectuels réels de haute tenue et non pensée unique, éducation des "masses", résultats électoraux pris en compte, quête de l'intérêt général compris comme supérieur à la somme des intérêts particuliers), à partir du moment où nous, chrétiens, allons à contre-sens du courant en affirmant l'existence d'une Vérité (en vertu de laquelle nous pouvons déterminer ce qui est le Bien, ce qui est le Mal = valeurs qui fondent toute civilisation) et donc, la possibilité pour nos contradicteurs d'être dans l'"erreur"( ce qui n'exclut évidemment pas la tolérance, bien au contraire, au sens premier du terme et non dans son acception galvaudée actuelle), à partir du moment où cette Vérité, porteuse d'une morale que nous refusons de voir cantonnée à la "sphère privée" se heurte à une idéologie largement partagée du "laissons chacun faire ce qu'il lui plaît", (sous couvert de "respect" et de "tolérance" précisément), comment continuer à croire que des choses sont susceptibles de se jouer dans le cadre démocratique traditionnel ?
En clair, réclamer un retour du "politique", le vrai, et de la "démocratie", la vraie, comme vous le faîtes et comme j'aime aussi à le faire (lorsque je suis d'humeur moins morose qu'aujourd'hui), est-ce bien là l'issue dans une société qui ne désire tout simplement pas être dans une quête de Vérité à laquelle elle ne croît plus ?
J'ai tort, certainement, mais je l'avoue, parfois, je doute... Et des millénaires de pratique politique ainsi que deux siècles d'expériences diverses de démocraties libérales et populaire ne contribuent pas à nourrir mon optimisme.
Investir ma vie quotidienne (simplicité volontaire, décroissance) et le champ associatif (ATD etc...) me donne le sentiment d'être plus dans l'action qu'aller faire allégeance au système en introduisant mon bulletin dans l'urne (ce que je ne fais du reste plus...). Voilà pour le politique.
Et pour ce qui est de la démocratie, les hommes de coeur n'ont pas attendu patiemment un regain de celle-ci pour entrer en Résistance contre des gouvernements (allemands ou français) qui en étaient les fruits.
Pour conclure, sans évangélisation efficace, un réinvestissement du champ politique et une revivification du débat démocratique ne pourront rien faire contre le désenchantement du monde et resteront des vains mots pour qui croit profondément que rien de Bon ne saurait être construit en dehors de la Foi.
Écrit par : SPQR | 17/08/2009
AUCUN PARTI
> La justice n'appartient à aucun parti. Elle demande des actes, pas des entre-actes et surtout pas des contre-actes. Quel est le bonus ?
Écrit par : Gérald | 17/08/2009
MATERIALISME
> Cette distinction entre un bon et un mauvais matérialisme me paraît spécieuse par ce qu'elle tend à réhabiliter une distinction entre le matérialisme de gauche - celui qui inspire les régimes populaires - et le matérialisme de droite - qui inspire les régimes libéraux.
Ces deux modèles de société ont abouti au même mépris de la personne humaine, à une standardisation identique des modes de vie, une mise au pas des goûts et des comportements (voir l'uniformité des zones résidentielles américaines et des cités communistes). Les deux régimes répondent à satisfaire un même égoïsme qui s'exprime de façon différente mais sert une même minorité de la population. L'empire soviétique était un capitalisme centralisé aux mains d'un parti politique, l'empire américain est un même capitalisme centralisé aux mains de la finance.
Le matérialisme nous a donc démontré toute sa nocuité et l'impase où il nous conduit depuis l'effondrement du mur de Berlin et la démonstration de la synergie économique entre des pays prétendument démocratiques (USA, Europe) et des pays qui ne le sont pas (Chine, Birmanie, ). Cela montre que le matérialisme, qu'il procède de l'expression d'un égoïsme de classe ou de celui d'un pouvoir aboutit à une même violation des droits de l'homme pour en tirer profit. Le matérialisme flatte une vision à court terme aux service de la satisfaction des instincts bine plus que de la raison.
Un post matérialisme ne consiste donc pas à distinguer dans un pensée le mauvais du moins bon mais à passer à autre chose.
Changer Epicure par Aristote ou Socrate, remplacer l'utile par le juste.
On ne peut prêter tout cela à Martine Aubry puisqu'il ne s'agit que d'une petite phrase, mais le seul sens novateur d'une telle idée serait de substituer enfin l'humanisme au matérialisme qui pollue l'histoire depuis la Renaissance selon Soljénitsyne ou la Réforme selon selon moi. Les Temps modernes ont vu l'affirmation de la pensée bourgeoise, utilitariste, matérialiste.
L'alternative du matérialisme se trouve dans l'humanisme.
Il existe un humanisme chrétien et un humanisme illuministe. Il s'agit de savoir se situer à la convergence de ces deux courants pour favoriser l'émancipation d'un mode de société qui replacerai l'homme comme priorité politique et renverrai dans les poubelles de l'histoire toutes les idéologies étriquées à l'origine d'un progrès techniciste et polluant, tant pour l'environnement que pour l'esprit.
Baudelaire disait que le progrès est une science de paresseux. La justesse d'une telle intuition est confirmée par les problèmes environnementaux. L'humanité a eu la prétention prométhéenne de s'affranchir de réfléchir tellement certaine de sa perfection au point de s'abstenir de penser aux conséquences de ses actes ou de refuser de se donne même plus la peine de réfléchir aux conséquences de ses actes. Business first. La Grippe A est le dernier avatar du matérialisme.
J'ignore si Martine Aubry est capable de s'associer à une réflexion chrétienne, cela formant l'écueil principal qui caractérise les dogmatiques des Lumières fortement attaché au principe d'immanence, principe matérialiste.
Il existe également des crypto bourgeois qui se dissimulent dans la pensée chrétienne et parasitent le discours de l'Eglise par des prises de position qui desservent la cause du respect et de la dignité de l'homme. Ces crypto catholique "de droite" ne sont pas catholiques. ce sont des matérialistes, mais se donnent bonne conscience à fréquenter une église pour professer au quotidien Mammon.
Chacun a du ménage à faire en convertissant ses propres imposteurs ou escrocs à des sentiments plus sincères ou en les éjectant d'un débat que leur présence a contrarié sans cesse et empêché de le voir s'affirmer, alors qu'il répond à l'attente de tous ceux qui voient en leur voisin une source de contentement plus qu'une menace. Cette première vision est souvent celle des ménages modestes ou pauvres. Elle tend à s'effacer au profit de l'autre au fur et à mesure qu'on accumule les richesses. C'est toute la difficulté de s'émanciper du matérialisme.
Voilà me semble-t-il la difficulté à envisager un post- matérialisme à moins d'être un saint ou un mystique. Et comme la France est un pays laïque, ce n'est pas pour demain que l'humanisme risque d'y triompher, puisque cela fait deux cents ans que le matérialisme y gouverne avec le succès que l'on connaît et qu'il s'y est enraciné en profondeur par un puissant lessivage des consciences.
Écrit par : Annie | 17/08/2009
PERSONNE
> J'avais remarqué la phrase de Martine Aubry; elle m'avait interpellé. PP, je partage votre avis, mais aussi celui d'Annie. Je me figure la position du catholique français de la façon suivante: s'il vote à droite il obligé d'adhérer à l'idéologie libérale (non chrétienne), et sil vote à gauche il est obligé d'adhérer à la laïcité à la française (c'est à dire au laïcisme) et aux nouvelles moeurs.
Ceci se concrétise dans le cas présent de la façon suivante: Martine Aubry a participé cette année à la Gay Pride lilloise.
Les chrétiens sociaux ( de gauche ou de droite) qui ne se compromettent ni dans le laïcisme et les nouvelles moeurs ou dans le libéralisme sont rares.
Il existait par exemple à gauche François Villeroy de Galhau qui fut directeur de cabinet de DSK, puis directeur général des impôts qui a bien du écrire un article intitulé "l'Assurance maladie ce bien commun", mais il s'est compromis dans la commission Attali.De droite nous avons Christine Boutin qui a fait partie du gouvernement libéral de Sarkozy avant d'être remerciée de la façon dont on sait.
Le catholique conséquent ne peut à mon avis voter pour personne puisque personne ne le représente aujourd'hui en France.
Écrit par : Nicolas Dangoisse | 17/08/2009
60 % DE L'ELECTORAT
> Un article de Monsieur Daniel Cohen dans le Monde en 2007 avant l'élection de 2007 avait bien résumé la situation. Il existe en France deux libéralismes: celui de l'économie et celui des moeurs (dit encore à l'américaine ou libéralisme social). La France est ainsi découpée en 4 secteurs. Les libéraux quant aux moeurs et à l'économie (les bobos et une partie de l'UMP) . Les libéraux quant à l'économie et conservateurs quant aux moeurs (une partie des conservateurs). Les conservateurs quant à l'économie et libéraux quant aux moeurs (la gauche généralement) et les conservateurs quant à l'économie et quant aux moeurs (les catholiques). Selon lui les conservateurs quant à l'économie ou la gauche additionné des catholiques représente 60% de l'électorat français. Ce mail suit le précédent.
Écrit par : Nicolas Dangoisse | 17/08/2009
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